4.48 Romans Noirs [Pays de l'Est]

 

 

 

Titre : Les impliqués
 
Auteur : Zygmunt Miloszewski
Édition : Mirobole (2013)

Résumé :

Un dimanche matin, au milieu d'une session de thérapie collective organisée dans un ancien monastère de Varsovie, l'un des participants est retrouvé mort, une broche à rôtir plantée dans l’œil.

 

L'affaire est prise en main par le procureur Teodore Szacki. Las de la routine bureaucratique et de son mariage sans relief, Sazcki ne sait même plus si son quotidien l'épuise ou l'ennuie. Il veut du changement, et cette affaire dépassera ses espérances.


Cette méthode de la constellation familiale, par exemple, une psychothérapie peu conventionnelle basée sur les mises en scène... Son pouvoir semble effrayant. L'un des participants à cette session se serait-il laissé absorber par son rôle au point de commettre un meurtre ? Ou faut-il chercher plus loin, avant même la chute du communisme ?

Zygmunt Miloszewski signe un polar impressionnant, où s'affrontent la Varsovie d'aujourd'hui et les crimes du passé.

 

Critique : 

Se faire tuer d'une broche à rôtir dans l'oeil... Voilà qui est peu banal, déjà. Ajoutons à cela que le crime s'est passé dans dans un ancien monastère de Varsovie et que le cadavre, avant de trépasser, participait à une thérapie collective dite de la "constellation familiale"... Vous m'avouerez qu'il a l'air malin, le colonel Moutarde, dans la bibliothèque avec son chandelier !

 

Une autre chose qui change des polars "classiques" : pas d'inspecteur, de détective ou de flic alcoolo pour cette dénouer cette affaire. Non, c'est le procureur Teodore Szacki est chargé de l’enquête. Il n'est pas dépressif, ne boit pas comme un régiment polonais, ne se drogue pas... Il est juste un peu désabusé et las de sa vie de couple qui a viré au banal mâtiné de routine.

 

Ah, j'oubliais de vous dire qu'il a 35 ans, des cheveux tout blancs et qu'il est plutôt bôgosse ! Monsieur ne serait pas contre le fait d'aller tremper son biscuit dans la tasse de café de la séduisante journaliste Monika (non, pas Lewinski !). Un type comme on en connait beaucoup...

 

Conseil : ne lisez pas ce roman pour son côté trépidant, il n'en a pas vraiment. Malgré tout, pour moi, ce fut un page-turner car j'avais faim d'en savoir plus sur la Pologne, qui, malgré la chute du Mur, n'en a pas fini avec son système corrompu. Quand à la Justice, elle tourne sur trois pattes... Le côté politique du livre, je l'ai dévoré.

 

Teodore Szacki (Teo) est notre narrateur privilégié et il ne se prive pas pour nous expliquer toutes les petites subtilités d'un système où les procureurs vont sur le terrain avec les policiers, pour enquêter, qu'ils sont débordés par le boulot, noyé sous la paperasse administrative, que leur taux de résolution des crimes est plus que nul (on est loin des séries télés), que certains de leurs dossiers prennent la poussière faute d'avoir résolu l'affaire et que tous concernent quasi des affaires de meurtres par abus d'alcool ou des violences conjugales.

 

Et non, en Pologne, le fait d'être procureur ne donne pas droit aux pleins pouvoirs... Que nenni !! Notre charmant Teo n'a rien d'un SuperProc avec une cape et avec des pouvoirs illimités ou un détecteur de mensonges greffé dans son nez. Donc, il peut se faire mener en bateau et tourner en rond durant son enquête qui piétine.

 

Il faut dire qu'on ne lui facilite pas la tâche non plus... Ni sa hiérarchie, ni les suspects dont il est en train de se demander si la thérapie aurait pu faire déraper l'un d'eux au point d'embrocher Henryk Telak comme un vulgaire rôti...

 

Quand à ses hormones en plein travail, elles le feront aller deux fois aux toilettes afin de soulager une tension mal placée. Bref, un enquêteur qui n'en est pas vraiment un, avec ses failles, ses doutes, ses pulsions. Un personnage des plus agréable à suivre.

 

Comme je vous le disais, le rythme est assez lent, mais il nous permet d'entrer plus en profondeur dans la société polonaise, d'explorer ses méandres tortueux, d'apprendre des choses sur sa justice, corrompue de partout; d'explorer un peu la mentalité de la population et les rouages des institutions. Sans oublier les politiciens qui se regardent le nombril à longueur de journée. 

 

En fait, on peut dire que l'enquête sert à juger sévèrement le système qui en est encore comme "au bon vieux temps" du communisme (ironie, bien entendu).

 

Autre chose de bien agréable aussi : à chaque début de chapitre, on avait droit à un morceau de l'actualité correspondant à la période de l'enquête (juin 2005). Une bonne idée qui permet, non seulement de replacer les souvenirs mais aussi d'en apprendre un peu plus sur la Pologne.

 

J'ai adoré "Les impliqués" pour son côté politique, plus important que l’enquête, presque... Pour ne pas dire que l'enquête et la politique étaient "attachés l’un à l’autre". Le meurtre et la politique sont de vieux compères qui vont bras-dessus, bras-dessous...

 

Bref, un vrai roman noir au contexte politique poussé ! Un délice de fins gastronomes pour moi.

 

Challenge "Thrillers et polars" de Liliba (2013-2014) et Lire "À Tous Prix" chez Asphodèle (Prix du Gros Calibre en Pologne en 2007 pour le meilleur polar de l'année).

 

 

 

Titre : Un fond de vérité


Auteur : Zygmunt Miloszewski
Édition : Mirobole (2015)

Résumé :

Fraîchement divorcé, Teodore Szacki a quitté son travail de procureur à Varsovie et débarque dans la paisible bourgade de Sandomierz, où il compte bien refaire sa vie. Mais six mois à peine après avoir abandonné l’agitation de la capitale et l’asphyxie de son mariage, il s’ennuie déjà.

Heureusement, devant l’ancienne synagogue de la vieille ville, du travail l’attend : un corps de femme drainé de son sang, tout comme dans un rite sacrificiel juif… Lorsque le mari de la victime subit le même sort, la population de la ville renoue avec des peurs vieilles de plusieurs décennies. Aux prises avec une flambée d’antisémitisme sans précédent, Szacki va devoir plonger dans un passé aux échos douloureux, et tenter de trouver la vérité dans une histoire qui déchaîne toutes les passions.


Critique : 

Son premier roman m'avait emmené au 7ème ciel, malgré son introduction assez longue (mais les préliminaires, avec cet auteur, c'est agréable) et le second, c'est un pied intégral, confirmant tout le bien que je pensais de l'auteur.

 

Je me suis toujours dit que je vivais dans un pays de malades mentaux niveau politique (celle dite "du gaufrier", on vous l'expliquera un jour), mais je vois qu'à la course à l'imbécilité, la Pologne galope à nos côtés.

 

Le premier roman m'avait subjugué par son côté politique - le communisme était au menu - et le second ne déroge pas à la règle.

 

Aux rayons X, la Pologne ne laisse voir que des fantômes des années 40-50 et un antisémitisme qui s'accroche à ses basques mieux qu'un virus. Vous croyez en être débarrassé, et bien non, il revient au galop.

 

Je dois dire que j'ai eu un peu peur en ouvrant le roman, peur qu'il n'arrive pas à la cheville du premier, peur d'être déçue... Et puis, mon procureur préféré, Teodore Szacki, a quitté la capitale pour se retrouver muté dans la petite ville de Sandomierz et j'avais quelques craintes pour lui.

 

C'est vrai, quoi, qu'allait-il avoir à se mettre sous la dent, le Sherlock Holmes des prétoires ? Hein ? Un vol de GSM ? Une dispute conjugale ? Il ne se passe jamais rien chez ces bouseux de Sandomierz et ses collègues ont l'air moins sympa que les anciens.

 

Fallait pas avoir peur pour notre procureur imbu de sa petite personne ! Il a déjà trouvé où fourrer son bâton de berger (le cochon) et en plus, il est confronté à un meurtre assez sanglant, avec des relents antisémites qui vont venir se graver dessus.

 

Une femme a été retrouvée, saigné à blanc, selon un vieux rituel d'abattage juif. Là, sûr qu'elle était casher.

 

L'auteur n'est pas tendre avec son pays, la Pologne a des squelettes dans le placard - comme d'autres - et des spectres qui flottent toujours autour de certaines villes.

 

Les mentalités sont encore fort moyenâgeuse pour certains et les imbéciles croyant encore aux vieilles légendes sont nombreux. Oh, on ne les entend pas, en temps normal, mais chassez l'imbécilité et elle reviendra ventre-à-terre.

 

Pas tendre non plus avec les médias, avides de sang, inventant des faits s'il le faut, publiant tout et n'importe quoi sans l'avoir vérifié et montant la tête des habitants de la petite ville.

 

Ce que j'aime chez l'auteur, c'est sa plume (même si on a droit à celle du traducteur) qui n'hésite pas à pratiquer l'humour, qui n'est pas tendre envers son pays et ses compatriotes et qui a un petit je-ne-sais-quoi qui me prend aux tripes pour ne plus me lâcher.

 

Si l'enquête est prenante à suivre, il y a aussi tout l'aspect "j'entre de plein-pied dans la société polonaise" qui est important. Ceci est un vrai roman noir.

 

L'auteur ne se borne pas à écrire un fait ou une histoire, non, il développe le tout, brode autour - sans jamais lasser le lecteur - vous faisant entrer tout entier dans son histoire avec un grand H.

 

Les rancœurs sont tenaces, le passé leur colle aux basques, les vieilles haines aussi et le portrait qu'il nous brosse de son pays est assez sombre.

 

Notre procureur est toujours aussi imbu de lui-même, a gardé son esprit acéré, sa bite est devenue volage, il est toujours aussi anti-religieux, anti-dogme, anti-hobby, mais sa vision des habitants changera au fur et à mesure que le temps passe.

 

Les personnages secondaires vont aussi évoluer et les surprises seront nombreuses. J'ai vraiment pris mon pied lors de ma lecture. Bluffée j'ai été.

 

Lire Zygmunt Miloszewski est un plaisir de fin gourmet, du petit-lait, le petit Jésus en culotte de velours.

 

Ouvrir un roman avec le procureur Teodore Szacki, c'est aussi orgasmique qu'un roman caché de Conan Doyle où Holmes culbuterait Irene Adler sur la table en lui disant "Vous avez de beaux yeux, vous savez"... et elle qui lui répondrait "Oh oui, grand fou, allez-y, prenez-moi sur le coin de la table".

 

C'est vous dire le plaisir que j'ai eu à le lire. Mais gaffe, sortez couverts, messieurs. N'oubliez pas l'imper anglais... Ceux qui l'ont lu sauront de quoi je veux parler.

 


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